Il y a quelques jours nous nous sommes rendus accompagnés du
Père Théophane dans deux bâtiments du SBU à Marioupol, où il fut lui-même torturé et assista à l’exécution d’un homme. Le premier immeuble était la direction centrale du SBU dans la ville, le second le quartier-général pour tout l’ancien oblast de Donetsk. Nous nous attendions à une journée assez spéciale et nous ne fûmes pas déçus par nos découvertes, copie d’un passeport américain, diplômes d’officier du SBU, divers documents que nous avons ensuite remis au capitaine Mikhaïl Popov du MGB, c’était en quelque sorte la caverne d’Alibaba. Après un long cheminement, le Père Théophane nous a conduit dans le centre ville de Marioupol, les deux bâtiments se trouvaient très proches, le premier d’ailleurs jouxtait la QG de l’OSCE, l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe, organisation en réalité sous contrôle américain. Les deux bâtiments avaient fait l’objet de combats acharnés, les Ukrainiens ayant tenté de se défendre, et sont en grande partie en ruines. Par la suite les services russes sont venus prendre possession de tout ce que les agents du SBU n’avaient pas détruits, nous savons que plusieurs tonnes de documents ont été saisis et sont en cours d’analyses, mais dans ce capharnäum incroyable, quelques pièces intéressantes avaient été oubliées. Retour sur une mission d’enquête pas comme les autres.
Dans la cave des tortures et des exécutions. Le Père Théophane passe devant, nous sommes quatre et trois d’entre nous ont des lampes torches. Il faut dire que nous commençons par le vif du sujet : les caves et tréfonds du siège du SBU à Marioupol. Nous tombons d’abord sur une première surprise, c’est une copie d’une photo du journaliste britannique Graham Phillips. Sa présence dans ces lieux ne pouvait dire que deux choses : soit un dossier avait été constitué par le SBU contre Graham, et il était une cible désignée. Soit ce document avait été découvert chez un malheureux résistant du Donbass, confisqué comme preuve à conviction, et il avait été traîné ici pour y être interrogé et torturé. La seconde surprise est moins agréable, car depuis les bombardements une partie des caves est inondée, nous ne pourrons hélas pas accéder aux geôles. Le bâtiment est discret, un simple immeuble de quatre niveaux, en plus du sous-sol, un drapeau de la RPD flotte sur les ruines. Nous trouvons cependant un autre escalier et avons accès à ce que le Père Théophane nous désigne comme la salle de tortures. Elle court sous une grande partie de l’immeuble, il y règne un désordre total. Des dizaines d’étuis de cartouche de revolver automatique Luger gisent au sol. Un grand comptoir se trouve d’un côté, de l’autre les Ukrainiens avaient installé « un champ de tir ». Pour bloquer les impacts, une grande plaque criblée et encore renforcée derrière par une grosse étagère remplie de pneus ont été installées. Le Père Théophane nous désigne les bancs, il fut maintenu sur l’un d’eux pour subir le supplice de l’entonnoir, et indique qu’il fut placé face au comptoir dans le « champ de tir », pour des simulacres d’exécution. Les agents du SBU s’amusaient à tirer à côté d’eux, tout autour, pour instaurer la peur et amollir les volontés. Avec sa lampe il nous montre les impacts de balles sur les murs, car il y avait parfois de dangereux ricochets.
Un petit aspect de l’ambiance du bunker, le 30 avril 1945. Je n’ai pas de lampe, aussi je laisse mes collègues filmer et s’afférer pour explorer les étages. Tout est dans un désordre indescriptible. Il n’y a pas un endroit qui n’a pas été ravagé par les combats, le bâtiment a été littéralement criblé. La progression est parfois difficile, au sol se trouvent des débris, il y a de tout. Les chaussures des employées, secrétaires et personnels administratifs du SBU gisent ça et là. Ces femmes venaient au travail avec des chaussures de ville et enfilaient ensuite de belles chaussures à talons, petite coquetterie des femmes slaves que l’on observe aussi en Russie. Partout il se trouve des ordinateurs détruits, avant de s’enfuir ou d’être tués, les agents du SBU ont détruit un maximum de choses, les Russes ont pris le reste. Des coffres forts sont partout, même dans les couloirs, ils ont été éventrés ou vidés, le sol est jonché de débris de papiers, car les machines à détruire les documents ont tourné H 24, mais ce ne fut pas suffisant. Il y a partout des artefacts désuets, souvent aux couleurs de l’Ukraine, tapis de souris aux couleurs du parti néonazi Pravy Sektor, horloge ornée du symbole du Trizoub, jusqu’aux gobelets de la machine à café également ornés des mêmes symboles, et puis de la documentation. Nous trouverons même des journaux ultranationalistes de 2015, affichant la tête du néonazi André Biletsky, ancien chef du bataillon Azov. L’ambiance est véritablement surréaliste, des dizaines de bouteilles d’alcool gisent partout, vins français et italiens, champagnes de France et de Crimée, mousseux, whisky de toutes les marques, vodkas, cartons vides qui contenaient des spiritueux, tout cela laisse bien imaginer une scène très similaire au bunker de la Chancellerie du Reich à Berlin. Après s’être dépêchés pour détruire le maximum de choses, documents et disques durs, tout ce petit monde s’est saoulé à mort… il faut dire qu’ils ne devaient pas être à la fête, les perspectives pour eux étaient la mort, la capture et peut-être un tribunal pour crimes de guerre et contre l’Humanité. Dans le deuxième bâtiment je trouve également des uniformes complets, chaussures, pantalons et vestes, casquettes, tout a été jeté. Après examen je comprends que les scratchs portant les noms des officiers ont été emportés, mais pas les chevrons et rhésus, ils finiront dans ma collection de trophées. J’emporte également les casquettes et je comprends qu’aucune des pièces n’a été tâchée de sang. Il n’y a qu’une déduction à cette trouvaille, ces hommes se sont déshabillés pour revêtir des vêtements civils et tenter se fondre dans la population civile, afin de fuir. Nous savons que les Russes ont arrêté pendant le siège et après, pas mal d’hommes ainsi camouflés dans la foule, sans parler de certains qui s’étaient déguisés en femmes. Mais d’autres hélas ont certainement pu échapper aux recherches. Il leur aura été plus que difficile de rejoindre les lignes ukrainiennes à plus de 100 kilomètres de là, aussi certains sont sans doute encore cachés.
Documents top secret. Le second bâtiment est beaucoup plus grand, il faut dire qu’il s’agissait du quartier-général pour tout l’ancien oblast de Donetsk. L’endroit est encore plus intéressant et livrera quelques secrets. Plus officiel que le premier, il est aussi totalement en ruines, à l’extrémité nord du bâtiment un coup au but d’un obus de gros calibre a effondré une partie de la bâtisse. L’un des escaliers pour atteindre les niveaux supérieurs est totalement détruit et affaissé, il faudra passer par un autre chemin. L’ambiance est exactement la même, coffres éventrés, ordinateurs fracassés, destructions massives, documents et débris gisants partout au sol, chaussures à talons de femmes et beaucoup de bouteilles d’alcool, ici aussi ce fut l’orgie finale. Au rez-de-chaussée nous découvrons quantité de cartes d’accréditations du SBU. Elles sont sur un vieux modèle qui a été très utile, un présentoir en cuir, photos et identités, mais seuls restent le dérisoire support. Les Ukrainiens ont pris le temps d’arracher toutes les photos et informations, il y en a des centaines au sol, sans parler des cartes de personnels désormais sans doute à la retraite. Ailleurs ce sont des dizaines d’enveloppes, elles portent souvent des tampons et la notification « Secret ». Là aussi elles sont vides, il s’agit de courriers qui étaient transportés par un service spécial du SBU, pour acheminer les documents secrets et les envoyer à divers destinataires. Il ne reste plus rien dans les enveloppes, les coffres forts sont presque tous vides mais l’un d’eux a été oublié. Ce sont des registres secrets de documents, lettres et listes de personnels du SBU pour l’oblast de Donetsk. Il y a aussi des documents pour l’achat et l’attribution d’appartements à des agents du SBU, avec l’aide de l’État ukrainien. Tout est en rang d’oignon, les certificats de naissance, les coordonnées bancaires, et même des photos. C’est là que nous trouverons la copie et l’apostille d’un passeport américain, d’un Ukrainien naturalisé. Qui était-il cela reste un mystère.
Notre visite se termine, nous sommes restés dans ces lieux plusieurs heures, à fouiller les caves, puis les niveaux étage par étage, sans parler des locaux techniques, garages et fosse à vidanges, entrepôts techniques et dépendances qui se trouvaient derrière les deux bâtiments. En ressortant nous sommes à la fois enthousiastes de nos découvertes, mais aussi nous pensons aux victimes. Combien de
centaines, voire de milliers de personnes sont passées dans cet endroit ? Combien ont été torturées, combien assassinées ? Un résistant m’avait raconté comment les cadavres des victimes étaient jetés dans des trous de mines ou d’anciennes carrières inondées du côté de Granitnoe, certains corps ayant été réduits en bouillie avec une presse à automobile dans des carcasses… Nous sortons de ce lieu infernal, je n’aurais jamais pensé honnêtement voir de mes propres yeux cet endroit que plusieurs prisonniers m’avaient déjà décris, comme Oleg,
Vitali ou encore le Père Théophane. En France et en Occident aucun média mainstream n’ont évoqué
les tortures, arrestations illégales, et les assassinats politiques qui ont été commis par le SBU. Et pourtant justice devra être faite et la vérité devra faire son chemin.
Laurent Brayard pour le Donbass Insider