Conte macabre sur les brancards
A L’HÔPITAL, c’est déjà l’heure des (mauvais) comptes de Noël. « Depuis deux semaines, des dizaines de patients sont morts, seuls, sur des brancards à l’AP-HP, raconte le professeur d’un grand service d’urgences parisien. Ce sont des patients qui seraient sans doute décédés, mais ce n’est pas une façon digne de mourir. Cela attaque sévèrement le moral des troupes. »
Dans un mail du 15 décembre consulté par « Le Canard », la Collégiale des urgentistes a sonné l’alarme auprès de Nicolas Revel, le patron de l’AP-HP. Le ton est un poil fébrile : « Aussi loin que nous nous en souvenions, nous n’avons jamais alerté de façon aussi inquiète. »
Et la Collégiale de préciser : « La pression actuelle, tant sur le flux des patients que sur le nombre de “patients-brancards”, l’impression générale et partagée de participer à une prise en charge dégradée de nos patients et l’absence de solution efficace (...) nous [font] craindre la survenue d’événements indésirables graves. » Ces événements auront « des conséquences majeures sur l’état des équipes », préviennent encore ces chefs urgentistes. Comme si l’hémorragie des troupes n’était pas assez préoccupante...
Avec 16 % de lits fermés à l'AP-HP faute de soignants, plus une épidémie de grippe et de Covid, les urgences de Tenon et de Bicêtre n’ont déjà plus été capables, ces dernières semaines, d’accueillir des malades envoyés par les pompiers ou le Samu. Résultat ? Des délestages sur les hostos environnants, avec le risque d’une saturation en chaîne.
Urgentistes remontés à bloc
Même riante situation en province. Les nuits du 19 au 21 décembre, faute de personnel, les urgences du CHU de Poitiers ont dû baisser le rideau à l’hôpital Montmorillon, et la mauvaise blague se répétera du 31 décembre au 2 janvier. Prière de réveillonner en bonne santé ! Mêmes fermetures annoncées, les nuits, pendant les vacances de Noël, aux urgences de Landerneau et d’Issoudun.
A l’hôpital André-Mignot de Versailles, secoué par une cyberattaque début décembre, « les conditions de travail sont devenues insupportables », alerte Wilfrid Sammut, médecin urgentiste et délégué de l’Association des médecins urgentistes de France. Samedi, seuls 26 % des appels au 15 étaient pris en charge en moins d’une minute, « on devrait être à 100 % », ajoute-t-il. Pas de quoi affoler Macron pour autant. Depuis le 21 octobre, 10 000 soignants de pédiatrie — dont 400 chefs de service — ont signé une lettre narrant par le menu le tri quotidien des enfants, faute d’effectifs. Résultat : nada ! Il a fallu attendre le 12 décembre pour que le ministère de la Santé se fende d’un décret octroyant une extraordinaire rallonge aux infirmières : leurs heures sup de nuit seront payées 1,07 euro de lus jusqu’au 31 mars...
Quant à l’enveloppe de 400 millions d’euros annoncée par le ministre de la Santé, François Braun, pour la pédiatrie et les autres services, « aucun détail sur sa répartition n’a été apporté, et, de ce fait, aucun financement validé », dénonce le Collectif pédiatrie, « abasourdi » par l’« intolérable absence de réponse du président de la République ». Comme le Samu, il ne décroche plus ?
En attendant, faute de places en réanimation, les transferts de nourrissons à travers la France continuent crescendo. Au 9 décembre, 72 enfants avaient déjà été expédiés, toutes sirènes hurlantes, de l’Ile-de-France vers Rouen, Amiens ou Orléans. S’il neige, il faudra songer à des transferts en traîneau...
I. B. et F. R.-G.