Dans son discours du 30 septembre, Vladimir Poutine est allé au fond des choses. Depuis plus d’un siècle, un plan longuement élaboré pour arriver à mettre toute la population mondiale sous l’autorité d’un gouvernement unique. La première impulsion a été donnée par un groupe de jeunes lords anglais, conscient que l’élite britannique avait vocation à diriger le monde
« pour le plus grand bien de l’humanité ». La puissance de la marine britannique, conjuguée à leur puissance financière au travers de la livre Sterling leur a permis de réaliser le Commonwealth.
Leur échec devant la Chine et les guerres de l’opium les ont conduit à s’appuyer sur l’industrie américaine, après que les banquiers de la City aient pris le contrôle du dollar en créant en 1913 la Réserve Fédérale. La première guerre mondiale, suivie de la seconde, ont eu raison de l’isolationnisme américain consécutif à l’application de la doctrine de Monroe.
En 1945, le monde n’était pas encore prêt à la « grande bascule ». La guerre de 14 avait entraîné la disparition des empires monarchiques, celle de 40-45 avaient mis un terme aux empires coloniaux.
Restaient donc à la surface de la planète, les nations.
Or, dans dans un monde « monopolaire », dirigé par un gouvernement mondial, les nations n’ont plus leur place et doivent disparaître.
La nécessité de la guerre froide
La souveraineté des nations, même si elle figure dans la
Charte des Nations-Unies, était un obstacle majeur à l’accomplissement du projet mondial. L’idée était de passer du national au supranational, puis de fondre tout cela ensemble. Il fallait « contourner » les peuples des démocraties afin de leur ôter progressivement leur souveraineté avant de les fondre dans le creuset mondial.
Dès lors, les objectifs intermédiaires apparaissaient clairement :
Imposer la démocratie partout où c’était possible et faire ensuite un partage du monde entre le camp de la démocratie, appelé « Camp du bien » et le reste du monde.Le seul adversaire véritablement capable de s’opposer à l’hégémonie américaine était l’Union Soviétique. Je ne sais comment ce qui précède à influencé les accord de Yalta, mais peut-être le saura-t-on un jour ?
Le monde étant partagé en deux blocs, à quelques exceptions prés, il fallait passer à l’étape suivante
nécessaire pour la suite. La « guerre froide » fut le moyen choisi.
De Gaulle perturbe le jeu
De Gaulle avait compris depuis longtemps quel était le projet Anglo-Américain de domination mondiale. Cela explique en grande partie sa politique internationale et notamment le rôle de « puissance d’équilibre » qu’il voulait faire jouer, non pas à la France uniquement, comme on le voit souvent écrit, mais à l’Europe issue du « Marché Commun ».
Pour restaurer une indépendance européenne, et non une souveraineté, c’est important de le souligner, il fallait s’affranchir de l’OTAN, d’où le
Traité de l’Élysée de 1963 proposant à l’Allemagne d’étendre la protection nucléaire de sa « force de dissuasion » à cette dernière.
Cette proposition a naturellement (et pour cause) été torpillée par les États-Unis qui tenaient à imposer l’OTAN. Cette dernière, et on le constate aujourd’hui, faisait partie intégrante du plan.
Pour la petite histoire, ce fut même une des raisons qui ont conduit à créer le « Club des Bilderberg » en 1954, dont le côté « mondialiste » apparaît évident. Le fait que de Gaulle se soit toujours fermement opposé à l’entrée de l’Angleterre dans le Marché Commun procède de la même raison.
Le refus de l’Allemagne a conduit de Gaulle à « l’enjamber » pour tendre la main au camp adverse en proposant des accords techniques et commerciaux avec l’Union Soviétique et en reconnaissant la Chine communiste, au grand dam des États-Unis.
Également conscient du jeu de ces derniers qui voulaient étendre la doctrine de Monroe à l’Amérique du Sud, il y effectua une vaste tournée afin de leur proposer la « 3ème voie », celle des pays non-alignés. La France y gagna en notoriété, d’autant plus que le
Discours de Phnom Penh l’avait déjà positionné comme initiateur de ce concept.
Mais de Gaulle n’était pas éternel et il faut constater que ses successeurs à l’Élysée n’ont pas suivi ses traces.
Le passage à l’acte en Europe et l’encerclement de la Russie
En 1991, l’URSS disparaissait, minée de l’intérieur par des nations qui voulaient retrouver leur indépendance et, il faut bien le dire,
poussée par les Etats-Unis dans le piège Afghan. La Chine ne s’était pas encore éveillée et ils restaient seuls en lice. Le plan de domination pouvait rentrer dans sa phase ultime. Le terrain choisi fut celui des accords de « libre-échange » qui devaient progressivement s’étendre à la planète entière, bien entendu sous le contrôle des grandes multinationales d’origine américaine, elles-mêmes soutenues par les banquiers internationaux.
Le livre de Zbignew Brzezinski décrit tout à fait les stratégies géopolitiques qui allaient se mettre en place pour « dissoudre la Russie » et mettre le continent asiatique sous la domination américaine.
Entre temps, l’US Navy s’était développée et pouvait intervenir, comme son illustre aïeule Britannique, sur les cinq continents.
L’Union Européenne ayant ratifié les traités qui, tous sans exception la conduisait au supranationalisme, ressemblait de plus en plus à « l’appartement-témoin du mondialisme », il suffisait de laisser les choses s’accomplir de leur libre cours. L’Euro, calqué sur le dollar, liait d’une façon réputée irréversible les différents pays de la zone et l’entrée dans l’OTAN des pays du pacte de Varsovie était pour eux une sorte d’antichambre de l’Union Européenne.
L’UE s’agrandissait ainsi au rythme où s’amenuisait la zone tampon résultant des discussions de 1991 sur la réunification allemande, où tous les participants avaient accepté que l’OTAN ne s’étende pas au-delà de l’Elbe.
Les événements de 2014
Comme l’avait prédit Brzezinski, l’Ukraine allait, de par sa position, jouer un rôle-clé dans l’opération d’encerclement de la Russie. Il fallait dorénavant la faire basculer dans l’Union Européenne et dans l’OTAN. Les stratèges américains, qui n’avaient pas compris, ou qui voulaient passer outre les conseils de prudence, ont pensé qu’ils pouvaient « passer en force » et que la Russie n’avait ni les moyens, ni le désir, de s’opposer à eux.
Georges Friedman, patron de
la Stratfor, officine très écoutée au Pentagone et à la CIA, dans un
article publié en 2015, avait bien résumé la situation et mis en garde ces stratèges.
La suite est connue et nous pouvons revenir au discours de Moscou du 30 septembre.
Vladimir Poutine pose les termes du choix
La presse mainstream et les dirigeants politiques Occidentaux veulent résumer la situation actuelle autour de la guerre en Ukraine en un choix entre la démocratie et la liberté contre le retour aux régimes totalitaires. Ce narratif est nécessaire pour justifier, notamment auprès des peuples occidentaux, l’engagement de leur pays en faveur de l’Ukraine. C’est une guerre menée contre la liberté, la démocratie et la souveraineté nationale de l’Ukraine, donc nous devons aider ce pays.
En droit international, si cela a encore un sens, rien ne nous y oblige. Les dirigeants européens ont fait ce choix, mais n’ont-ils pas outrepassé leur pouvoir ?
Et que se passerait-il si, finalement, un processus de paix était trouvé aux termes d’un accord entre les deux belligérants ? Après tout, tout le monde pourrait s’en satisfaire.
Je doute fort que cela soit le cas. Au delà de cette guerre en Ukraine, c’est tout le devenir géopolitique de la planète qui semble en jeu.
Quelle différence entre un monde « monopolaire » et un monde « multipolaire » ?
Bien que personne ne veuille l’exprimer clairement, un monde monopolaire est un monde dirigé par une seule entité, et peu importe qu’on l’appelle gouvernement mondial ou d’un autre nom. Une chose apparaît cependant certaine, c’est que ses dirigeants ne seront pas élus au suffrage universel. Un tel monde serait-il alors démocratique ? Assurément non. Et c’est cette contradiction que relève
Vladimir Poutine dans son discours. Nous sommes à l’heure du choix entre ce monde monopolaire et un autre, réputé multipolaire. Les deux peuvent a-priori se concevoir. Le premier suppose une domination de l’ensemble par une oligarchie qui devrait en permanence défendre sa position hégémonique et dont en constate les effets actuellement alors que le second débouche plutôt sur un monde « Westphalien » dans lequel aucun pays ne pourrait imposer sa domination aux autres. Seul ce dernier pourrait prétendre à une paix d’équilibre, comme le fut la
« Paix de Westphalie » de 1648 en Europe.
Il apparaît alors clairement que le choix appartient non pas à un seul état, fût-il le plus puissant, mais bien à l’ensemble de la Communauté mondiale. C’est ce message que veut faire passer le Président Russe:
«
L’Occident est prêt à franchir toutes les limites pour préserver le système néocolonial qui lui permet de vivre aux crochets du monde, de le piller grâce à la domination du dollar et de la technologie, de percevoir un véritable tribut de l’humanité, d’extraire sa principale source de prospérité imméritée, la rente versée à son hégémonie »
Cette phrase, qui vise l‘élite anglo-saxonne est surtout destinée à éveiller les esprits qui ne voient jusqu’à présent que les « bons sentiments » mis en avant par cette oligarchie qui, selon lui, ne veut pas renoncer à ce qui a fait sa fortune sur le dos des autres. Il leur dit en substance :
Voici longtemps que vous avancez sous un « faux nez », mettez vos actions en regard de vos principes en disant :
«
Les pays occidentaux disent depuis des siècles qu’ils apportent la liberté et la démocratie aux autres nations. Rien ne pourrait être plus éloigné de la vérité. Au lieu d’apporter la démocratie, ils ont réprimé et exploité, et au lieu de donner la liberté, ils ont asservi et opprimé. Le monde unipolaire est intrinsèquement anti-démocratique et non-libre ; il est faux et hypocrite de bout en bout »
Les choses sont plus claires
Il est clair que Vladimir Poutine s’adresse, comme de Gaulle l’avait fait en son temps, aux pays non-alignés, et particulièrement ceux qui ont eu à pâtir des agissements de l’État Profond américain. Il sait que la démographie mondiale est pour lui car l’Occident ne compte plus que pour 12% dans la population mondiale. Il leur dit sans ambages que le choix entre ces deux mondes, l’un unipolaire et sous domination occidentale et l’autre, multipolaire et organisé différemment, dans lequel chaque nation pourra exercer sa souveraineté :
«
Le monde est entré dans une période de transformation fondamentale et révolutionnaire. De nouveaux centres de pouvoir émergent. Ils représentent la majorité – la majorité ! – de la communauté internationale. Ils sont prêts non seulement à déclarer leurs intérêts mais aussi à les protéger. Ils voient dans la multipolarité une occasion de renforcer leur souveraineté, ce qui signifie obtenir une véritable liberté, des perspectives historiques, le droit à leurs propres formes de développement indépendantes, créatives et originales, à un processus harmonieux.
Comme je l’ai déjà dit, nous avons beaucoup de personnes partageant les mêmes idées en Europe et aux États-Unis, et nous sentons et voyons leur soutien. Un mouvement essentiellement émancipateur et anticolonial contre l’hégémonie unipolaire prend forme dans les pays et les sociétés les plus divers. Sa puissance ne fera que croître avec le temps. C’est cette force qui déterminera notre future réalité géopolitique »
On peut souscrire ou non à la vision de Vladimir Poutine. Pour ma part, j’avoue préférer un monde qui ressemble le moins possible au «
meilleur des mondes » d’Aldous Huxley, c’est-à-dire sans « grand incubateur » ni transhumanisme, qui me paraît être dans la logique d’un monde « globalisé ».
Il reste à savoir si l’élite mondialiste acceptera ce changement ou s’y opposera par tous les moyens à sa disposition.