Pour mettre en doute une mort, il faut avoir des raisons, bonnes ou mauvaises. Et pour tous les disparus évoqués dans ce livre, il existe de telles raisons. Claude François est-il mort dans sa baignoire, électrocuté par une applique, ou a-t-il été assassiné après avoir été menacé à plusieurs reprises ? Coluche est-il mort dans un accident de moto, alors qu’il préparait un nouveau spectacle au Zénith dans lequel il devait évoquer, avec violence et humour, la fille cachée du président de la République, François Mitterrand ? Était-il un gêneur qu’il fallait éliminer ? N’avait-il pas déjà « importuné », des années auparavant, lorsqu’il avait voulu se présenter comme candidat à la présidence de la République ? Romy Schneider s’est-elle suicidée, ou, comme on nous l’affirme, est-elle morte de mort naturelle, un soir, assise à la table du salon de son appartement ? Pierre Bérégovoy, lâché par ses amis politiques, embringué dans un scandale financier, s’est-il suicidé ? Ou a-t-il reçu deux balles dans la tête, ce qui fait beaucoup pour un suicide… Jean Seberg, retrouvée onze jours après sa disparition morte dans sa voiture, s’est-elle suicidée ? Ou a-t-elle succombé après avoir absorbé de force une énorme quantité d’alcool ? Marilyn Monroe est-elle morte de mort naturelle, s’est-elle suicidée ou a-t-elle été assassinée sur ordre des Kennedy, dont elle menaçait la sérénité ?
On le voit, chacune de ces disparitions présente des aspects nébuleux jamais éclaircis. Dans le cas de Marilyn Monroe ou de Diana, des dizaines de livres consacrés à leur mort ont accumulé les doutes sans vraiment faire avancer la vérité.
Ils étaient jeunes, beaux, riches et célèbres. Parfois les quatre à la fois. Et ils sont morts comme n’importe lequel d’entre nous. C’est cela qui est inacceptable pour beaucoup.
Quand on est la princesse Diana, on ne peut mourir dans un accident de voiture sous le pont de l’Alma. Quand on est Coluche, on ne peut disparaître dans un accident de la circulation sur une route du Midi. Quand on est Claude François, on ne peut mourir dans sa baignoire pour avoir touché une applique mal installée.
Il y a forcément autre chose que l’on ne nous dit pas.
Nous vivons dans une société de plus en plus paranoïaque, où la théorie du complot affleure à chaque événement. Ces dernières années, de monstrueuses insinuations, feutrées puisque attentatoires à la loi, ont même laissé entendre que les camps de concentration – à Auschwitz, Treblinka, Dachau, etc. – et les chambres à gaz n’avaient pas existé. Et à travers des livres, des vidéos sur Internet, certains ont même mis en doute la réalité des attentats du 11 Septembre. Qui auraient été inventés, créés par le gouvernement américain.
Devant une telle paranoïa, on reste les bras ballants.
Aujourd’hui, le doute n’est pas seulement permis, il est obligatoire. Mourir sans raison paraît suspect. Comme s’il fallait une raison précise pour mourir à telle date, à tel endroit.
Nous sommes entrés dans le royaume de la mort interdite.
Alors, on cherche d’autres vérités, plus dérangeantes, derrière les vérités apparentes. Et parfois on trouve. Rarement des preuves. Plus souvent des éléments dissonants.
On en vient toujours à chercher dans les zones d’ombre d’une vie les possibilités d’éclairer une mort ambiguë.
C’est en fouillant dans la vie de Marilyn Monroe que l’on a cherché à expliquer sa disparition. Dans le cas de Romy Schneider, tout un chacun estime dans son inconscient qu’une mère ayant perdu son enfant dix mois plus tôt est condamnée à mort, et qu’elle doit immanquablement finir par se suicider.
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Le but de ce livre est d’accepter le doute, de donner éventuellement les arguments pour le dissiper ou, au contraire, de poser les éléments, parfois nombreux, qui permettent de l’étayer.
Si nous trouvons dans ces pages des personnalités hypermédiatisées, de Michael Jackson à Marilyn Monroe, en passant par Diana, Claude François ou Coluche, nous croisons aussi des personnalités moins connues du grand public, tels le général Leclerc ou Marie-Antoinette Chaban-Delmas, ainsi que des personnages à la stature indéniable, comme le pape Jean-Paul Ier, décédé mystérieusement après seulement trente-trois jours de pontificat.
On peut être élu pape et mourir de mort naturelle trente-trois jours après. Le fait est que l’élection d’un pape ne lui
garantit pas un certain nombre d’années de vie. Pour ce qui est de la vie éternelle, il verra plus tard, mais de préférence après sa mort.
Mais, derrière la brutalité de cette disparition, on découvre des éléments qui donnent à penser que Jean-Paul Ier ne serait pas mort de mort naturelle.
En se penchant sur certaines vies méconnues, on découvre souvent des aspects passionnants. Nous pensons notamment à Marie-Antoinette Chaban-Delmas, disparue dans un accident de voiture alors que son mari Premier ministre travaille à Matignon. Force est de constater que depuis des années les époux Chaban-Delmas faisaient maison à part. Le Premier ministre avait une liaison avec une femme qu’il épousera un an environ après la mort de Marie-Antoinette, et c’est cette liaison portée au grand jour qui aurait mis celle-ci dans un état de dépression nerveuse pour laquelle elle était soignée depuis des années.
Le général Leclerc est mort dans un accident d’avion, mais le pilote n’aurait jamais dû décoller tant les conditions atmosphériques étaient mauvaises. Au premier abord, voilà une mort qui paraît assez peu mystérieuse. Surtout quand on sait que Leclerc a lui-même ordonné au pilote de décoller. Mais alors, d’où est venue la rumeur ? Après avoir été protégé par de Gaulle, le libérateur de Paris avait commencé à lui faire de l’ombre, une ombre grandissante…
La question revient sans cesse, lancinante : à qui la mort profite-t-elle ?
Celle de Diana profite à la famille royale d’Angleterre, exaspérée par les humiliations que lui infligeait la jeune femme.
Celle de Bérégovoy profite à son camp, si tant est que Bérégovoy représentait un danger pour ses amis, et notamment le président de la République.
La mort de Jean-Paul Ier profite à ses adversaires politiques au sein du Concile.
La mort de Michael Jackson profite à beaucoup de gens, dans son entourage professionnel. Dans son état physique et mental, il aurait été incapable d’honorer les concerts qu’il devait donner à Londres. Sa disparition permettait de faire couvrir par les assurances les frais liés à l’annulation.
La mort de Jean Seberg aurait profité au FBI et à la CIA, mais aussi à quasiment toute l’Amérique blanche et dure qui ne supportait plus ses liaisons sulfureuses avec les Black Panthers.
Bien sûr, il ne saurait s’agir ici d’apporter une réponse précise à cette foule d’interrogations, mais simplement d’effectuer un voyage à travers des vies qui, chacune à leur façon, ont pu nous passionner. Des existences dont nous pensons connaître les méandres, alors que nous n’en savons le plus souvent pas grand-chose. Il s’agit de traquer la vérité, de l’approcher parfois, quitte à en être effrayé.
LE GÉNÉRAL LECLERC
Mort, où est ta victoire ?
Pour tous les Français, il est l’homme qui a libéré Paris. Philippe de Hauteclocque appartient à une époque où les jeunes gens de son milieu devenaient moines ou soldats. Il a choisi en 1922, à vingt ans, de prendre le chemin de Saint-Cyr. À moins de quarante ans, il a refusé la débâcle, l’humiliation, l’Occupation, pris le nom de Leclerc pour épargner des ennuis à sa famille, rejoint Londres après avoir été fait prisonnier deux fois et s’être évadé deux fois.
On ne peut pas évoquer la mort de Leclerc si on ne tente pas d’abord d’ébaucher un portrait de l’homme, du combattant, du meneur d’hommes, du stratège et aussi, et surtout, du visionnaire politique dont les lumières pouvaient faire de l’ombre aux uns et hurler les autres.
D’où vient qu’un parcours conforme aux traditions familiales et aux valeurs chrétiennes, enraciné dans le service de la patrie et de l’État, conduise à s’interroger sur l’anticonformisme de Leclerc ? Son engagement d’homme libre est, certes, peu banal parmi sa génération d’officiers. C’est bien la cohérence de son parcours, donnant un sens à son engagement dans la France Libre qui fait rupture, non sur le plan de son itinéraire intellectuel, patriote, familial et moral, mais bien par rapport à une étude sociologique du comportement militaire en 1940 : obéir plutôt que résister. Leclerc est conçu pour résister. Il appartient à ce que l’on a appelé la « génération de feu », génération saint-cyrienne (1922-1924), instruite par les sacrifices de la Grande Guerre, génération d’officiers marqués par les enseignements tactiques et stratégiques du « feu qui tue », à Saint-Cyr puis à l’École de guerre (1938-1939). Cavalier sorti major du stage d’application de cavalerie à Saumur en 1925, major à l’entrée et à l’issue de la première année de l’École de guerre, Hauteclocque se défie des faiseurs d’idées, non des idées elles-mêmes.
S’il passe dix-sept ans en école, de 1922 à 1939, dont huit comme instructeur (à Dar El-Beïda, au Maroc, 1927-1929, et à Saint-Cyr, 1933-1938), il n’est pas l’archétype de l’officier de corps de troupes des années 1920 et 1930. Si sa carrière est conforme au parcours type de l’officier de cavalerie avant 1940, elle tranche par ses talents. En dépit de sa brève expérience du feu en 1939, il se révèle rapidement un chef de guerre anticonformiste et brillant, mieux, victorieux. Le général Leclerc perce sous le capitaine de Hauteclocque. Ses qualités de meneur d’hommes au combat, mais aussi dans son œuvre de ralliement à la France Libre, sont évidentes. Doué de toutes les qualités de tacticien et de logisticien en tant que chef de la « force L » (Koufra, mars 1941), puis de la 2e division blindée, Leclerc est un chef de guerre reconnu. Il a forgé, non sans difficulté, la 2e DB, il déploie toutes ses qualités dans la campagne de Tunisie en février 1943. Avec ses talents d’organisateur et d’improvisateur, il rallie autour des Français libres de 1940 à 1942 une partie de l’armée d’Afrique et des giraudistes, évadés de France et Africains engagés. Cet amalgame de soldats français nord-africains, prémonitoire de la reconstruction des armées françaises après 1944, est sans conteste un atout pour la France combattante. Libre dans l’action et dans la pensée, Leclerc s’adapte aux situations les plus difficiles. Ainsi en est-il lors des premiers engagements de la 2e DB après le débarquement en Normandie du 1er août 1944. Enfin, la campagne d’Alsace de la 2e DB est, d’un point de vue logistique et stratégique, un modèle d’école qui lui vaudra plus tard l’admiration d’un Patton, ou d’un Bradley, initialement plus réservés.